Rien ne destinait ce natif du Tarn à devenir éditeur. Licence de psychologie en poche, il commence comme monteur à l'ORTF au tout début des années 1970. Résumés de matchs de foot - en tandem avec un débutant prometteur, un certain Michel Drucker... - puis émissions de Maritie et Gilbert Carpentier. Là, il copine avec le gratin du show-biz. Et lance un journal, Podium, qui végète gentiment. Un jour, sur un plateau télé, Claude François le prend à part. "Vous êtes un ringard, attaque le chanteur, toujours aimable. Associez-vous avec moi à 50/50 et nous allons faire exploser les ventes de Podium." Quelques mois après, le magazine bariolé pour groupies de Patrick Juvet s'arrache à 500 000 exemplaires.
Julio Iglesias enregistré au bord de la piscine
La mort brutale de Cloclo stoppe net la belle aventure. Deux ans durant, Michel Lafon va diriger le département jeunesse d'Hachette. Mais il n'est pas taillé pour l'"institutionnel". Il veut lancer sa propre maison. Pour cela, il faut frapper d'entrée un grand coup. "Je me suis envolé pour Miami et j'ai obtenu un rendez-vous avec Julio Iglesias, se souvient-il, encore amusé. Je l'ai convaincu d'écrire ses Mémoires. Le jour, au bord de sa piscine de Creek Island, je l'enregistrais au magnétophone. Le soir, je décryptais à l'hôtel. A la fin, le frère de Julio, qui s'occupait de ses affaires, me dit : "Maintenant, on va parler argent. C'est 100 000 dollars ou rien." C'était une somme colossale, dont je n'avais pas le premier cent. J'ai pris un vol direct pour Barcelone et suis allé taper à la porte du grand éditeur Planeta. Je leur ai proposé les droits du livre en espagnol. Pour 100 000 dollars. Ils ont accepté, j'ai envoyé le chèque à Julio et j'ai pu créer ma maison."
Il rachète l'hôtel particulier de Dali
Suivront une ribambelle de best-sellers : La Valise en carton, de Linda de Souza (1,3 million d'exemplaires), Cent Familles, de Jean-Luc Lahaye, Raquel Welch, qui le ruine avec ses Paris-New York en Concorde (plus une place pour son chien, évidemment...), mais aussi Fier d'être français, de Jean-Marie Le Pen, ou un ouvrage du gourou de la Scientologie, Ron Hubbard, même s'il ne partage les engagements ni de l'un, ni de l'autre. Surtout, Michel Lafon a une idée de génie, aujourd'hui enseignée dans les écoles d'édition : ses livres tiennent debout tout seuls. "Je m'adressais à des gens qui n'avaient pas de bibliothèque chez eux, explique-t-il. J'ai donc fait des couvertures cartonnées épaisses qui permettaient de ranger les livres que je publiais dans le buffet du salon..."
Il s'entoure aussi d'excellents nègres : la "papesse de l'édition", Françoise Verny, écrit le Linda de Souza ; la future éditrice Anne-Marie Métailié le Lahaye ; et le pas encore prix Renaudot Dan Franck, le Rika Zaraï. Non sans mal : en pleine rédaction, Dan Franck est emprisonné pour ses liens supposés avec Action directe. "Michel Lafon a été très réglo, se souvient un témoin. Il a passé un accord avec le juge Bruguière pour que Dan puisse continuer depuis sa cellule et sortir les chapitres un par un..."