• « Prononcer le nom d'Hermaphrodite, c'est évoquer, dans un musée de Florence ou de Rome, une figure allongée sur le flanc, le front posé sur un coussin... » Marie Delcourt n'a pas tort de commencer son intéressante mise au point par ces mots. Car elle-même n'a pas échappé à cette vision qu'elle dénonce ; et si elle est bien consciente d'aborder « un exemple privilégié de mythe pur », elle se tient surtout accrochée à la matière, elle s'attache à l'examen des formes plastiques, peut-être aussi à ce que les Anciens nommaient d'ailleurs androgynie, c'est-à-dire l'hypospadias, l'hermaphrodisme apparent. Là, elle excelle ; toutes les pages consacrées à l'iconographie surtout pp. 83-103) sont, sinon toutes nouvelles puisqu'elles reprennent parfois des thèmes ou des remarques de W. Deonna, de Reinach et surtout du Dr Paul Richer, du moins parfaitement claires, explicites, remarquablement synthétiques, je dirais définitives si quelque chose pouvait être définitif. Dans la littérature, dit l'auteur, Hermaphrodite est une idée plutôt qu'une personne (p. 2). Or, M. Delcourt s'intéresse plus à la personne qu'à l'idée, serais-je tenté de dire, en sachant bien que je suis un peu sévère.
• Dans l'Antiquité classique, l'hermaphrodisme est un phénomène un peu marginal. On sait, en revanche, quelle place il tient dans les religions orientales qui ne sont pas considérées ici. Cette différence du rôle de- l'être bisexué dans ces deux, groupes de civilisations rendait une partie de la tâche de l'auteur assez difficile et on peut se demander si l'analyse des faits antiques, quelque soigneuse qu'elle soit, prédisposait à l'élaboration d'une théorie générale. C'est si vrai; qu'il a fallu ici avoir recours au chamanisme (p. 59 ss.) pour expliquer certains faits. Disons, à ce propos, que l'auteur aurait рu mieux exploiter certaines données de l'ethnographie. Elle sait, par exemple, que les chamans ayant: revêtu des vêtements féminins jouent lе rôle d'une « femme au point de prendre un mari ». J'ajouterai que ceux-ci peuvent accoucher à l'instar d'une femme. Il y avait là ouverture vers l'étude de la psychologie de l'androgyne,. que l'on peut, déplorer de voir un peu négligée. La féminisation du mâle, la masculinité de la femme apparaissent peu ou pas du tout (homosexualité par exemple). Les Amazones, elles-mêmes, « des femmes qui se comportaient comme des hommes », sont examinées d'une manière un peu; extérieure (pp. 19 ss.). On voit fort bien encore apparaître ce souci de l'apparence tout au long du premier chapitre, étude des Déguisements intersexuels dans les rites privés et publics (pp. 5-27). Reconnaissons cependant, que, dans le chapitre sur les Dieux doubles (pp. 28-50), on voit assez en profondeur ces « êtres féminins: qui engendrent sans époux » (androgynie implicite), en même temps que l'on obtient des perspectives enrichissantes sur les cosmogonies (« La Terre engendre seule », etc., p.. 29).
• Toutes les explications sont discutables et il importe plus d'en présenter de suggestives et- d'intelligentes, comme Marie Delcourt le fait, que de rester dans des chemins trop battus, mieux à l'abri des critiques. Ce n'est donc pas la nouveauté ou l'incertitude de certaines hypothèses que je critiquerai mais peut-être plus une certaine timidité. Oui, « l'androgynie : symbolique devait avoir une valeur positive et bénéfique, chacun des deux sexes recevant quelque chose des pouvoirs de l'autre » (p. 27). Est-ce assez dire ? Je rappellerai seulement la très heureuse définition de Mme Lot-Falck (publiée dans RHR, CXLIX, 1956, p. 194) : « Seul complet, seul parfait, l'être bisexué; réunit, réconcilie les principes masculin et féminin, solutionne (sic) l'éternel conflit. » On retrouve un peu cela,- mais moins vigoureusement exprimé, dans une belle citation de; la page 113 du livre.
• Je n'ai pas à parler ici des; faits pour lesquels je n'ai aucune compétence. Je sais seulement que la qualification de Marie Delcourt est telle qu'on peut lui faire toute confiance. Ceux qui sont rapportés viennent surtout du monde hellénique. Le non-spécialiste sera sans doute surpris de voir combien les faits latins semblent insignifiants à côté de ceux-ci ou, pour mieux dire, comment ils sont très exactement parallèles à ce que l'on constate en Grèce.
• L'ouvrage se termine (chap. V, pp.. 104-129) par une brève étude de l'évolution du symbole androgyne dans la philosophie et dans les mythes (orphisme, Platon, gnose, hermétisme, magie, alchimie, etc.). Il est complété par une bibliographie sommaire « et analytique pour une dizaine d'ouvrages traitant l'ensemble de la question) et par neuf dessins au trait faits par Mme Augusta Berbuto.
≡ Roux Jean-Paul. Marie Delcourt. Hermaphrodite. Mythes et rites de la bisexualité dans l'Antiquité classique. In: Revue de l'histoire des religions, tome 160, n°1, 1961. pp. 91-93.