Les Silves constituent un recueil de poèmes improvisés (à en croire Stace), unique sinon dans la littérature universelle, du moins dans la littérature de l’Antiquité Classique. La virtuosité du poète, la variété piquante des sujets et des tons, l’audace d’une écriture poétique presque expérimentale suffiraient à expliquer le regain d’intérêt des Modernes pour cette œuvre surprenante.
À l’intérêt littéraire s’ajoute un intérêt documentaire de tout premier ordre : les Silves sont un témoignage irremplaçable et non encore pleinement exploité sur l’histoire politique, artistique et culturelle de cette époque du Haut Empire. Elles évoquent les grands personnages du règne de Domitien, décrivent les villas de riches patrons épicuriens du poète, des œuvres d’art possédés par eux ou des ouvrages d’art publics (ainsi la Via Domitiana).
Ces poèmes sont aussi un exceptionnel document anthropologique et sociologique : ils jettent une vive lumière sur les manières de penser raffinées et les subtils codes sociaux et linguistiques de la haute société romaine ; ils en illustrent aussi les conceptions philosophiques et religieuses. La survie de ces poèmes n’a tenu qu’à un fil : leur unique témoin doté d’une autorité indépendante est la copie très fautive, exécutée en 1417 ou 1418, d’un manuscrit perdu découvert par l’humaniste Le Pogge. Le texte des Silves est l’un de ceux qui posent le plus grand défi à la science critique : même impeccablement transmis, il donnerait encore beaucoup de travail aux exégètes. Dans l’état altéré où il se trouve, il constitue l’un des textes les plus difficiles à établir de toute la littérature latine. Le dernier commentaire critique global, visant à circonscrire et à régler les problèmes textuels, remonte à 1728. Il est dû à Jeremiah Markland, et constitue l’un des chefs d’œuvre de la philologie classique.
La présente édition commentée veut, avec la modestie qui s’impose, s’inscrire dans cette tradition philologique, renouvelée, mise à jour et même étendue. Sans s’inféoder aux préjugés et en prenant dûment en compte la réflexion menée depuis la Renaissance, notre édition revisite les problèmes critiques et exégétiques que pose le texte latin.
Pour présenter au lecteur les données de ces problèmes, elle met en œuvre l’information la plus vaste possible dans tous les domaines pertinents (lexicographie, phraséologie, grammaire, métrique, critique textuelle et verbale, histoire, prosopographie, droit, tous les aspects de la civilisation matérielle présents dans les poèmes) et recourt aux techniques modernes d’investigation (ainsi les études intertextuelles).
Un index fourni permet d’exploiter transversalement les richesses d’un commentaire qui, tout en restant de dimensions modestes, aborde une variété considérable de questions et éclaire bien des points obscurs d’une langue et d’une culture où il demeure beaucoup plus d’inconnu qu’on ne croit souvent.