La part du rêve et de la réalité, de la tradition et de la nouveauté, de ce qui est à tous et à toi. Que veux-tu apporter ? La joie des petites choses éternelles dans la vie quotidienne sans quoi, dans ce temps des bouleversements, la vie serait invivable, un fruit, un éclairage, une caresse, un objet, un geste, une attitude, une nécessité, un détachement mais aussi en transformer et en élargir le sens, et susciter le désir d’en jouir chez ceux qui en sont privés. Le cadeau d’une heure, d’un moment présent, fixés dans la mémoire et dans le sang à jamais. L’élasticité musculaire de tension et de détente, l’éternité d’un arbre, le frôlement d’un chat, le lancer du semeur, la crispation du poseur de rails, le souvenir d’une bonté, l’étranglement de la peur, les transports de l’espoir. Dire tout cela et plus aux hommes, évoquer et maintenir en eux la faculté de le voir et de l’éprouver. Wolfgang Simoni, qui prendra en 1943 le nom de Louis Saguer et sera naturalisé français quatre ans plus tard, naît le 26 mars 1907 à Berlin, où il étudie la composition, avant de collaborer aux musiques du Cuirassé Potemkine, des Dix Jours qui ébranlèrent le monde, de Kuhle Wampe et des Merveilles du ski. Entre 1927 et 1929, il est pianiste, chef d’orchestre et assistant à la mise en scène à l’Opéra de Berlin et au Théâtre Piscator. À Paris, il reçoit bientôt les conseils d’Arthur Honegger et de Darius Milhaud. De retour en Allemagne en 1932, il suit des cours de Paul Hindemith au Conservatoire Stern et assiste Hanns Eisler à l’Université ouvrière et à la Chorale populaire de Berlin. L’avènement du nazisme le contraint à l’exil et à la clandestinité. Épris de liberté, Louis Saguer s’installe à Paris et fait de longs séjours en Italie, en Espagne et au Portugal, dont il parle couramment les langues. Sa musique et la maîtrise dont il fait preuve dans toutes les disciplines de son art témoignent d’un esprit encyclopédique. Le compositeur est en effet analyste et pédagogue, pianiste et claveciniste, accompagnateur et interprète soliste de ses contemporains, comme des maîtres français, italiens, espagnols et portugais de l’âge baroque. Assistant de Hermann Scherchen et chef de la Chorale populaire de Paris, Louis Saguer dirige et crée de nombreuses œuvres, en concert et à la radio. Consulté par la plupart des musiciens d’avant-garde français, de Pierre Boulez à Iannis Xenakis, il donne de nombreuses conférences, enseigne à Darmstadt dès 1949, puis à la Fondation Gulbenkian de Lisbonne et à l’Université d’Aix-en-Provence. Il renoue enfin avec la composition de musiques de film en signant la partition du Signe du lion d’Éric Rohmer. Lauréat du Copley Award à Chicago en 1961, du Grand Prix de Monaco en 1964, du Premier Prix de l’American Association of Negro Musicians en 1973 et du Prix de la Sacem en 1973, Louis Saguer meurt à Paris le 1er mars 1991. À ceux qui l’interrogeaient sur la confidentialité de son œuvre et de ses écrits, Louis Saguer répondait : « Ma situation est seulement la conséquence de mon incapacité à me promouvoir avec succès et de mon caractère insolite ».