Partant de son mythe personnel, celui de l'Arcadie heureuse des Bucoliques, Virgile développe le rêve d'une renaissance de l'Italie épuisée par les guerres civiles, et propose à ses compatriotes et à Octavien-Auguste une régénération morale calquée sur sa propre ascèse poétique et apollinienne. Il fonde ainsi tous les mythes du Principat, renaissance de l'Age d'Or, Empire Universel, apothéose d'Auguste, avant de prendre ses distances à l'égard d'un régime trop éloigné de son modèle idéal. Mais avec l'aide d'Horace, Auguste, après la mort de Virgile, présente cet idéal comme désormais atteint, et son règne comme la réalisation de l'Age d'Or apollinien. Dès lors, les poètes élégiaques, hostiles au pouvoir d'Auguste, vont dénoncer cette imposture et souligner l'échec des mythes du Principat, tout en reconnaissant l'influence de Virgile et sa supériorité poétique. A travers une étude comparative des quatre grands poètes augustéens, Virgile, Horace, Properce et Tibulle, cet ouvrage fait donc apparaître le rôle fondateur de Virgile, qui n'est pas un porte-parole de la propagande augustéenne mais plutôt un inspirateur bientôt trahi et récupéré par un pouvoir avide de toute forme de sacralisation, ainsi que la mise en place de la relation ambiguë unissant l'homme politique et l'artiste.
COMPTE-RENDU :
Une étude de plus sur l'époque augustéenne, déjà fréquemment et abondamment traitée, serait-on peut-être tenté d'écrire à la seule lecture du titre. Ce serait méconnaître tant l'importance d'une période assez brève mais déterminante puisqu'elle a changé la face du monde romain que l'originalité de cet ouvrage. Celui-ci, en effet, se veut à la fois global et limité. Global, puisqu'il prend en compte tous les aspects de la seconde moitié du premier siècle avant J.C. (« de la fin des années quarante aux dernières années de notre ère » (p. 1), où il faut sans doute lire « avant notre ère ») : historique, culturel, surtout moral et religieux, littéraire. Limité puisque ces divers aspects se fondent sur une même symbolique, un ensemble de représentations semblables ou de mythes, décrits de multiples façons par les écrivains et exploités politiquement, dont les plus caractéristiques s'ordonnent autour d'Apollon. C'est Apollon qu'Auguste choisit comme divinité tutélaire du nouveau régime et garant de l'âge nouveau qu'il veut instaurer, Apollon que tous les poètes mentionnent dans leurs œuvres, quel que soit le genre auquel elles appartiennent. Quels furent les rôles respectifs et les relations mutuelles ? La question, qui ne pouvait manquer de se poser, est traitée en quinze chapitres, inégalement regroupés en quatre parties, successivement consacrées à l'idéologie et à la politique de l'empereur telles qu'elles peuvent être saisies à travers les pratiques cultuelles et les monuments les plus connus, puis à chacun des principaux auteurs : Virgile, véritable fondateur des mythes impériaux, Horace, dont la position est plus ambiguë, les élégiaques (Properce et Tibulle), qui ont fait choix, en dénaturant la figure du dieu, d'une opposition aux idéaux du pouvoir. Il ne saurait être question de résumer ici tous les résultats établis au terme d'un travail qui, sans négliger les autres données, reste essentiellement littéraire, consistant dans l'étude, détaillée et précise, de textes nombreux, dans lesquels une analyse approfondie, menée souvent avec subtilité, toujours avec clarté, découvre non seulement une signification profonde mais des correspondances internes ou externes - avec, surtout, une référence virgilienne plus présente qu'il ne semble (p. ex. p. 291 sq.) - et des liens à l'actualité qui renouvellent bien des lieux communs (p. 99, p. 121...). D'une époque en général jugée trop connue, et par là souvent mal jugée, est ainsi tracée une image en partie nouvelle. Se trouvent, en particulier, mises en évidence son unité spirituelle, son originalité, qu'elle doit à l'influence, sans véritable équivalent dans l'histoire, alors acquise par la poésie, et sa complexité, résultant de la diversité des rapports établis entre poésie et pouvoir politique ; car ceux-ci ne se réduisent pas à une mainmise du second sur la première qui, loin de n'être qu'un véhicule de propagande, constitue aussi, à l'égard du prince, moyen d'avertissement et marque de distance (p. 141, p. 280...). Le résultat n'est pas mince.
♦ Méthy Nicole. Loupiac (Annie). Virgile, Auguste et Apollon. Mythes et politique à Rome. L'arc et la lyre., Revue belge de philologie et d'histoire, 2001, vol. 79, n° 1, pp. 262-263.