Ce livre s'adresse à tous ceux que passionne la chute des empires, tout comme à ceux qui s'interrogent sur la naissance d'un des plus formidables mouvements politiques et intellectuels de l'histoire de l'humanité, la cité grecque. Entre les puissantes citadelles mycéniennes, les rois couverts d'or de l'Age du Bronze et la polis grecque, il était habituel de parler de« siècles obscurs": l'écriture disparue, les palais dévastés, un habitat et des sépultures appauvris, en bref, une irrémédiable décadence, largement due, croyait-on, au déferlement de hordes étrangères, Doriens ou Peuples de la Mer. La polis ensuite semblait surgir de nulle part, un demi millénaire après la splendeur de Mycènes. Il faut maintenant réviser cette conception, en fonction des avancées archéologiques aussi bien que de la relecture des sources anciennes.
La chute des palais tient beaucoup plus aux rivalités internes et aux tensions politiques contradictoires qu'à d'hypothétiques envahisseurs. La « conquête dorienne » est avant tout un mythe fondateur de Sparte, qui pèse de peu de poids dans la représentation du passé des autres populations doriennes. Des formes religieuses nouvelles apparaissent dès l'abolition du système palatial, au XIIe siècle avant notre ère, qui préfigurent l'organisation cultuelle de l'archaïsme grec.
Loin de la décadence et de l'oubli, la période des « siècles obscurs » se révèle au contraire comme un temps de bouillonnement et d'effervescence, où s'élaborent les caractères spécifiques de la polis. Dans cette perspective, la question homérique et la naissance de l'écriture alphabétique sont l'objet d'une réflexion d'ensemble qui conduit à transformer radicalement l'interprétation des origines de la cité grecque.
Annie Schnapp-Gourbeillon enseigne l'histoire grecque à l'université de Paris VIII. Elle est l'auteur de Lions, héros, masques. Les représentations de l'animal chez Homère et, en collaboration avec Claude Mossé, d'un Précis d'histoire grecque.