• Il est difficile, après Marguerite Yourcenar et Fraigneau, d'écrire le roman d'un empereur romain. La réussite de François Fontaine n'en est que plus remarquable. Il est vrai que ses voies sont différentes. D'abord, usant d'un ressort dramatique qui a fait ses preuves, il ne fait apparaître le héros qu'au troisième acte de la pièce (il est vrai qu'elle en comporte sept). Il est au centre, mais assez souvent à distance, et bien loin d'emplir la scène. Aussi, quelle distribution ! Cent douze personnages, dont treize seulement sont imaginaires, sans parler des comparses, des figurants et de foules nombreuses et bruissantes.
• Ce que l'auteur met en scène, c'est d'abord le roman, ou la tragi-comédie, d'un empire, d'une société, d'un temps où les nôtres apparaissent dans un arrière-plan tantôt voilé, tantôt éclairé d'un trait aigu. Voyez la présence confuse, menaçante, fascinante, dans une communication toujours équivoque, du Proche et du Moyen-Orient. L'accident de l'histoire - qui pouvait n'être qu'une péripétie, et les acteurs s'y trompent - c'est l'usurpation, vite réduite, de Cassius Avidius. Mais le destin s'y engouffre, avec les forces explosives, ou désagrégeantes, dans les rivalités et l'anarchie : c'est le commencement de la fin d'un monde. Le plus troublant, c'est que ce destin est mis en œuvre par l'empereur le plus conscient de sa fonction, le plus scrupuleux dans l'exercice de son métier, qui est en même temps le philosophe le plus serein, le plus humain. Sa « faiblesse » est sa grandeur même : il veut que sa philosophie et sa morale inspirent sa politique, les lois et la pratique de l’État. Généreux, clément, ennemi de la répression, il l'est non plus par opportunisme et habileté, mais par conviction profonde, et quelle que soit la circonstance.
• Précurseur ? Ou démonstrateur de l'incompatibilité définitive de la morale et de la politique ? Toujours, Machiavel chassera-t-il Marc Aurèle ? Pourtant, et c'est rare, il fut constamment aimé et vénéré non seulement du peuple, mais d'un entourage qui ne comprenait pas, ou s'efforçait de le convertir à la real-politik.
• Ce roman dans l'histoire pose implicitement la question du « pouvoir intellectuel ».
• C'est un des livres les plus attachants de ces derniers temps.
Yves Florenne. Le Monde Diplomatique, janvier 1980.