Au-delà du titre volontairement provocateur, ce livre répond à une double ambition : introduire à une critique anthropologique de ce qu'on appelle couramment des œuvres littéraires (latines ou grecques) en les traitant non comme des textes, des objets autonomes, porteurs de significations et susceptibles d'être interprétés aujourd'hui par une lecture, mais comme les traces d'actions passées, de pratiques qu'il faut reconstituer pour comprendre à quoi correspondaient ces actes de parole que l'on catalogue, à tort, dans la littérature. L'exemple sur lequel s'exerce cette critique anthropologique est l'une des plus célèbres de ces prétendues œuvres littéraires : l'Odyssée. Une fois restituées dans son contexte énonciatif, et ramenée à un acte sans autre signification que lui-même - chanter l'épopée homérique - l'Odyssée est confrontée avec d'autres pratiques culturelles contemporaines : une publicité des pâtes Panzani, le film Le grand Bleu, et la tauromachie dont les fonctionnements sont sur bien des points comparables. Sortir intellectuellement de la "galaxie Gutemberg", de l'impérialisme de l'écriture et donner aux "littératures orales" un prestige entier, en cessant d'en faire des pré-littératures en attente de l'écriture, comme on fait des séries télévisées de la sous-culture. Tout sépare les chants de l'Odyssée des émissions de Dallas mais une fois restitués dans leur contexte respectif, ces deux types de performances remplissent la même fonction : susciter chez le public un consensus culturel qu'alimente la célébration d'un monde immobile et parfait. Parfait et immobile parce qu'il réalise totalement l'essence de chaque chose dans un temps qui permet à l'être de se déployer sans se transformer. Si Dallas est notre Homère, Homère fut aussi le Dallas de l'Antiquité.