Introduction, édition et traduction par Jean-Yves Boriaud.
Quelques mois avant sa mort en 1576, Gerolamo Cardano (notre « Cardan », né en 1501 à Pavie) se lance dans la rédaction de ce Livre de ma vie, en cinquante-quatre chapitres, dont il n’aura pas le temps de donner une version définitive, pour autant que l’expression ait un sens chez cet éternel insatisfait, toujours prêt à amender, voire à détruire celles de ses œuvres qu’il juge inabouties.
En dépit de cela, le De vita propria, ouvrage apologétique où Cardan entend démontrer à l’Inquisition la pureté d’une âme hors d’atteinte des tentations hérétiques, constitue, en Europe, la première véritable autobiographie : l’auteur, à l’origine d’une longue tradition qui culminera peut-être avec Rousseau, y fait profession de sincérité absolue, dans un dévoilement exhaustif de sa personnalité tourmentée. Défile donc ici l’exposé sans complaisance de ses faiblesses et succès, avec, sotto voce, la confidence de ses ambitions et déboires de médecin, de savant et de philosophe, dans une atmosphère étrange marquée de l’irruption récurrente du surnaturel : Cardan vit en effet dans un monde peuplé des « signes » multiples que lui adresse, sous forme cryptée, une généreuse Providence, et dont il se reproche de n’avoir pas saisi le sens au moment de son drame essentiel, celui de l’exécution de son fils accusé de l’assassinat de son épouse. Cette édition, appuyée pour la première fois sur les quatre manuscrits du livre connus à ce jour, se propose de rendre compte du texte tel que Cardan l’a laissé, et que les éditeurs ont par la suite « corrigé » et « clarifié » à leur guise. Elle s’accompagne d’une traduction aussi fidèle que possible à un texte riche mais rugueux, ainsi que d’une présentation et d’une annotation destinées à réintroduire l’œuvre dans l’univers fragile et instable où baigne son singulier auteur.