L'abondance et la diversité des philosophies des valeurs entraînaient une certaine imprécision en ce domaine. Comme M. Ruyer est toujours impressionné par la clarté des figures géométriques et qu'il a gardé le goût des représentations graphiques (cfr. notre compte-rendu de son ouvrage « La Conscience et le Corps », T. 43 de cette revue, août 1940 - août 1945, p. 288), il a voulu créer de l'ordre dans cette branche importante de la science.
Un premier ouvrage donnait une description — ce qu'on aurait pu appeler approximativement une phénoménologie — du « Monde des Valeurs » (T. 47, août 1949, p. 429). Sans chercher cette fois à comparer entre elles en leur riche variété les diverses valeurs possibles, la première partie de l'ouvrage édité aujourd'hui veut nous donner une analyse de la structure « essentielle » de « la » valeur. Cette métaphysique — désignée par l'auteur comme « philosophie générale » — englobe à la fois un exposé de l'objectivité de la valeur, du jugement de valeur et de leur relation réciproque. Cette analyse des propriétés essentielles est très adroite, comme tout ce que produit M. Ruyer. Elle aurait cependant gagné en solidité si elle s'était appuyée à une anthropologie ou à une ontologie explicite.
La seconde partie de l'ouvrage passe en revue les divers types de théories de la valeur dans leur développement historique. Cette revue, intéressante et bien documentée, ne forme cependant qu'une introduction assez schématique à chacun de ces systèmes. Mais peut-on attendre une présentation moins superficielle en si peu d'espace ? Dans l'exposé historique également les rapports de l'axiologie à l'ontologie sont un peu négligés. Nous savons bien que l'auteur lui-même se plaindrait plutôt d'un excès de métaphysique. Il voudrait au contraire un rapprochement intime entre l'axiologie et les découvertes les plus récentes de la science. La microphysique, la chimie biologique et l'embryologie expérimentale en particulier fourniraient des vues extrêmement fécondes. Ceci ne signifie nullement que M. Ruyer veut ramener la valeur à l'ordre physique 'ou physiologique. Il prétend au contraire que la structure des valeurs se retrouve partout parce que le vitalisme psychologique embrasse l'ensemble du réel.
Van Haecht Louis. Raymond Ruyer, Philosophie de la Valeur. In: Revue Philosophique de Louvain. Troisième série, tome 51, n°29, 1953. pp. 155-156.