Pour l'auteur, la philosophie de Heidegger se ramène quasi entièrement à une ontologie dont il tente de dégager les lignes essentielles. Travail difficile, car cette pensée énigmatique et extrêmement concise se cherche encore et, comme le dit l'auteur, « nous invite à chercher avec elle » (p. 1). L'auteur est parti des intuitions de base que Heidegger n'a jamais désavouées, en vue de rejoindre les perspectives vers lesquelles s'oriente aujourd'hui sa méditation. C'est d'ailleurs la pensée actuelle de Heidegger qui retient spécialement l'auteur, qui tente de dégager progressivement la notion d'Etre de celles qu'il juge moins pures, c'est-à-dire celles de monde, de temporalité, de transcendance, de liberté, de vérité et de néant. Nous saurons alors, conclut-il, ce qu'il faut entendre par Etre dans la doctrine de Heidegger. Et nous saurons également pourquoi cet Etre est nécessairement fini. Tel est donc le programme. Il faut dire que — dans les limites normales d'une initiation — celui-ci est réalisé très heureusement par le P. Corvez. En fonction même du but poursuivi, il cerne d'ailleurs brièvement quelques-unes des notions centrales et essentielles de la pensée heideggerienne. Les avantages précieux de cette initiation nous semblent être les suivants. D'abord, le P. Corvez ne réduit pas l'Etre de Heidegger à quoi que ce soit d'autre que lui-même et le décrit fidèlement, avec les obscurités et les difficultés qui lui sont inhérentes. Et c'est énorme. Que de fois, en effet, des auteurs n'ont-ils pas précipitamment mis en corrélation cet « Etre » avec Dieu ! Il y a donc là un souci d'honnêteté qu'on ne peut que louer. En outre, ce livre est écrit dans une langue claire et agréable. Elle nous change du « galimatias » et de l'hermétisme de trop d'ouvrages où les mots fleuves composés de tirets et de néologismes finissent par rendre la pensée insaisissable et confuse. Ceci est capital pour une initiation : se faire comprendre. D'aucuns diront peut-être que tout cela est trop clair ! Mais nous ne le pensons pas. L'auteur termine par des critiques dont la formulation est fort simple. La chose pourra elle aussi lui être reprochée. La critique des critiques est toujours possible. Reste que les questions que pose à Heidegger le P. Corvez sont à leur place à la fin d'une telle initiation. Et nous sommes persuadé qu'elles ne sont pas inutiles.
Robert Jean-Dominique. Maurice Corvez, La philosophie de Heidegger. In: Revue Philosophique de Louvain. Troisième série, tome 60, n°67, 1962. p. 449.