• Cyrène au ciel percé, Cyrène et ses trois récoltes annuelles de fruits, Cyrène nourricière de troupeaux en ses riches pâturages. Poètes et historiographes ont rivalisé d'invention pour faire de la fertile et prospère colonie grecque de Libye une terre de l'Age d'or.
• Mais Cyrène, c'est aussi le nom de la jeune nymphe tueuse de lions qu'Apollon, amoureux, emmène de Thessalie en Libye pour s'unir à elle sur le site de la future cité grecque, autour de l'eau jaillissante qui porte le même nom. C'est encore une terre lointaine qu'il faut ancrer au continent par un autre récit métaphorique, animé par les Argonautes. C'est enfin ce territoire civique dont le balbutiant Battos, conduit par la voix oraculaire d'Apollon Pythien, trace le plan en forme de nef, pour être héroïsé à sa poupe.
• C'est donc dans un entrelacs narratif et métaphorique d'une extraordinaire richesse que les Grecs se sont représenté un acte de fondation essentiel, consacré par un culte héroïque. Au gré des circonstances historiques, selon les occasions rituelles, en relation avec les genres qui les portent à leur public, ces différentes configurations du temps, de l'espace et de l'événement ne cessent de se métamorphoser. Mythe, légende, conte ou histoire ?
• L'occasion est trop belle pour ne pas montrer qu'en dépit de sa dénomination hellène, le mythe en tout cas n'est pas une catégorie indigène. Pour les Grecs, les récits de fondation font partie de cette «archéologie» qui soumet l'histoire des temps anciens à la spéculation symbolique pour l'offrir à la communauté de croyance qui l'honore sous une forme en général rituelle, avec une efficacité nouvelle. Telle est la double visée de ce double essai: tenter une critique du concept moderne de mythe tout en restituant dans leur profondeur sémantique, et avec leurs fonctions poétiques et sociales, les créations fictionnelles suscitées par les relations des Grecs avec le passé de la plus «mythique» de leurs colonies.